L’été avait déposé toute sa chaleur sur les pierres des statues perdues aux faîtes des bâtiments. Statues et gargouilles se regardent plus ou moins tendrement.
La douceur de septembre se lisait dans leurs regards. Les feuilles de l’automne, emportées par le vent d’octobre, caressaient les visages de pierre, les corps immobiles frémissaient dans l’assaut d’Éole.
Cela n’était pas encore la bise glaciale, piquante, mais plutôt le vent d’Albion avec ses perles fertilisantes sur terre, bonheur du laboureur.
Les gargouilles aux bouches de dragon, aux têtes d’aigles, à l’aspect de démons, elles déversaient leur trop-plein d’humeur chagrine sur les passants.
Les statues chimériques n’étaient pas de reste, tremblantes comme les branches des arbres, laissant passer leurs chants plaintifs et sifflants autour d’elles.
Plaintes que peuvent percevoir, ceux qui en sont à l’écoute. Ils lèvent leurs pensées vers elles, regards tout aussi admiratifs que craintifs.
Ils savent, comme les enfants, que, bientôt, il va se dérouler l’inévitable tremblement de la matière. De cette matière, malaxée, durcie, surgie du tréfonds des entrailles de la terre, sculptée, assemblée, déposée pour orner les constructions que les hommes ont élevées.
Ils guettent l’instant précis qu’il ne faut pas rater. Temps intemporel qui ne dure que le moment d’un regard. Les gargouilles ont fini de pleurer, les statues fantomatiques de trembler.
C’est le moment du cœur de la nuit, de cette nuit, pas une autre, celle-là où, rejoignant la main de l’homme, la matière pétrifiée prend forme de vie.
Elle se libère. Les démons, les aigles, les dragons s’agitent. Les statues, chimériques, angéliques, en leurs vaisseaux prennent vie.
Les unes s’envolent au-dessus des rues abandonnées de toutes âmes vivantes, les autres déambulent sur les toits, glissent le long des murs et défilent sur le macadam.
Doubles expositions du temps qui passe. Petites secondes aux heures longues pour ce bal de nos ornements. Longues heures en quelques secondes par le vivant des protagonistes.
Cette nuit affairée où le vivant s’immobilise et la matière devient vie, s’agite, dégourdissement des membres trop longtemps liés.
Période de l’entre-deux, résonnance du carillon sonnant le cœur de la nuit. Bascule d’un jour à l’autre, d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre, qu’importe ce moment. Cette période est une expérience que seul l’âme éveillée en perçoit la beauté théâtrale.
Bernard Cauvin©29/10/2015
Merci à l'auteur-e de ce gif. |
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