Qu'importe la météo de cette journée, de ces journées.
Au sortir de l'hiver rigoureux de 1954. Jean allant vers ses 7 ans, il fréquente l'école primaire de son village, un bourg chef-lieu du canton. Un bourg comme tant d'autres dans la France rurale.
Peu de voitures, le car passe deux fois par jour entre la sous-préfecture et une ville régionale. Sur les hauteurs attenantes, jean admire la cime enneigée du mont blanc, bien trop loin pour y partir en randonnée. Il est imposant et petit à la fois, un point blanc très haut à l'horizon et encore, il n'est visible que les jours au ciel bleu sans nuages, c'est sans doute cela qui attire le regard du jeune garçon. Plus au nord, il y a la barrière des Vosges, plus proches, mais tout aussi inaccessibles.
Il rêve, le petit jean, il rêve devant la tour du château moyenâgeux, une époque bien lointaine pour lui.
La corneille vient se poser sur son épaule, il caresse sa tête, lui parle, il se souvient du jour où il demanda à son père si il pouvait avoir cet oiseau à la maison, oiseau qui le fascinait. Son père attrapa un oisillon qui fut nourri au pain imbibé de lait, cela, il s'en souvient.
La corneille est chez elle, elle dialogue avec Jean. Un concours de "Tia", chaque matin au moment de la toilette au-dessus de l'évier, il rit, s'en amuse, l'oiseau, dont sa mère ouvre la cage, prend son envol et va jouir de la vie dans l'éther du village, elle revient quand le désir s'en fait sentir, le soir surtout où elle retrouve son nid.
Parfois, de retour des travaux aux champs ou dans des fermes voisines, la corneille restée à la maison répond aux "Tia, Tia, Tia", lancée par sa mère et arrive vers eux, se pose sur l'épaule de sa mère pour le revenir à l'habitation.
Jean rêve, il rêve dans la classe de l'école, peut-être que les premières lectures, sans doute celle qui parle d'un petit oiseau, en est le déclencheur pour l'adoption de la corneille. En classe, il a souvent la tête tournée vers la fenêtre, son esprit l'a quitté, il gambade au-dehors dans les prairies vertes et fleuries, une raison pour qu'il aime la classe en plein air avec la maîtresse.
Cet après-midi-là, après la sieste, l'œil vert à la pupille noire indiquant que le poste de T.S.F. est en fonction, des voix d'hommes, de femmes, il ne comprend pas tout, mais il rêve quand il entend certaines chansons, étoile des neiges par exemple ou encore le petit train dans la campagne, celles qui l'attirent le plus, "La fille de Londres", une autre dont il ne comprend pas pourquoi une certaine nostalgie l'habite, "Un gamin de Paris", il a l'impression que l'on parle de lui, lui un gamin de ce village!
Puis c'est l'heure du dîner, silence à table, on écoute le poste, c'est sacré, le poste, un Dieu dans la maison,"La famille Duraton" ouvre la soirée, une fresque sonore avant les informations, alors là, c'est le silence absolu!
Jean, il s'en moque de ces histoires de grands. Pourtant, il rêve d'exotisme quand la voix masculine évoque le Tonkin, l'Indochine, c'est loin l'Indochine, c'est comment là-bas?
Les nouvelles ne sont pas belles, bonnes, une guerre, il ne comprend pas tout, mais des noms évocateurs le bercent dans son rêve, Saïgon, Hanoï, la plaine des jarres. Il s'envol se promène dans les rizières, les rues de ces villes, sur le fleuve Mékong, pourtant un lieu l'interpelle, comme il inquiète les adultes, Diên Biên Phu, un beau nom, mais angoissant!
Il entend parler d'hommes inconnus, Cogny, de Castries, le général Giap, Ho Chi Minh! Qu’importe, il rêve toujours à ce monde lointain.
Il joue avec des enfants de Hué, de Saïgon. Il ne perçoit pas le drame qui se déroule dans cette péninsule asiatique.
Le temps passe, il entend parler d'un médecin qui opère dans des conditions difficiles, la boue, les bombardements, d'une femme aussi, Geneviève de Gaillard, infirmière qui réalisa des prouesses dans cette cuvette, surnommée "L'ange de Diên Biên Phu" par le corps expéditionnaire du camp retranché.
Ces souvenirs restent en mémoire du petit jean qui ne comprend pas le monde des grands et vit dans ses rêves.
C'est loin le Tonkin et le petit train dans la campagne le transporte dans son monde imaginaire où un petit chien aboie dans une vitrine, un rat entre dans une chambre et renverse le pot à bière, retrouve le gamin de paris près d'un petit jet d'eau à Pigalle ou de passer sous les ponts de la capitale.
B.Cauvin © 26/05/2015